jeudi 12 août 2010



Depuis deux mois, je n’ai plus envie d’écrire. Je ne mange également presque plus. Il y a eu la canicule, qui m’a coupé l’appétit, puis mon bon vieil ami le stress, à diverses occasions ; mais surtout, il y a eu la mort de Pétunia.

Pétunia n’était pas mon amie. Ce n’était qu’une connaissance. Il y a dix ans, alors que nous étions encore au secondaire, nous avions toutes les deux participé à un voyage organisé par l’école. Pendant ces quelques jours où nous nous étions côtoyées, nous avions bien échangé quelques paroles, quelques sourires, mais sans plus. Pétunia avait un an de plus que moi, elle était donc plus avancée dans son cursus scolaire, alors nos chemins se sont tout simplement séparés, sans que qui que ce soit ne s’en plaigne. Pétunia n’est qu’une des je-ne-sais-trop combien de milliers de personnes qui sont passées dans ma vie, y ont séjourné quelques heures, quelques jours, quelques semaines, pour ensuite repartir. Elle ne comptait pas plus qu’une autre, seulement, nous avions vécu ensemble un moment particulièrement intense en joies et en surprises, alors je me rappelais très bien d’elle.

C’est par hasard que j’ai appris sa mort. L’amie d’une amie, d’un ami d’une amie a croisé l’autre ami de l’autre amie qui a dit à mon amie que Pétunia, qui n’était pas mon amie, je le rappelle, était morte. Subitement. Pour une raison qui n’est pas parvenue jusqu’à moi, dans toute cette chaîne d’amis qui se sont passé le mot au sujet de la mort d’une ancienne collègue d’école. J’ai su ça par courriel, alors que je prenais mes messages durant ma pause au travail. Sur le coup, un frisson m’a parcourue. J’étais étonnée, évidemment, légèrement choquée, par cette injuste fatalité. Puis, j’ai fermé ma session ainsi que la fenêtre du navigateur Internet et je n’ai plus repensé à tout cela de la journée.

Le soir, rendue à la maison, j’ai ouvert une bouteille de rouge ainsi que la télévision. J’aime bien écouter le téléjournal d’une oreille distraite, pendant que je prépare le souper. Je bus une ou deux gorgées de Chianti et me mis à couper quelques betteraves, dans le but de faire une simple petite salade de mangues et betteraves, parce que le temps lourd me pesait sur l’estomac et que je n’avais pas très faim. Une goutte de vin tomba sur le comptoir, à côté du jus de betterave violacé qui avait également dégouliné un peu partout. Puis, dans cette marée de rouge est apparu un autre rouge, celui-là plus visqueux : sans m’en apercevoir, je m’étais tailladé le pouce. Je n’avais pas ressenti la coupure, trop absorbée par mes pensées. Ce n’est pas la douleur qui m’a sortie de ma torpeur, mais bien cette mare de liquide écarlate qui, s’agrandissant de plus en plus, a fini par apparaître dans mon champ de vision. Je n’ai pas crié. J’ai seulement placé mon doigt sous l’eau froide, effectué une pression pendant quelques minutes, mis un pansement, puis me suis assise pour reprendre mes esprits, en même temps que quelques autres gorgées d’alcool. Ce n’est qu’une fois assise que la douleur est parvenue jusqu’à mon cerveau. Le doigt m’élançait soudainement. Mon pouce battait la pulsation, comme si mon cœur s’y était déplacé. Je ne pourrais pas continuer de cuisiner, j’étais un peu trop mal en point.

Assise devant la flaque de rouge, le pouce battant la chamade et l’estomac noué, je me suis mise à pleurer. Toutes les larmes de mon corps. Je pleurais ma faiblesse, ma vulnérabilité. Je n’étais pas invincible. Je n’étais pas éternelle. C’est comme si, tout d’un coup, à cause d’une lame de couteau trop bien aiguisée, je venais de réaliser mon humaine condition. Des gouttes d’eau salée tombaient sur la flaque de sang et de jus de betteraves, diluant lentement la couleur. J’étais incontrôlable. J’ai monté le volume de la télévision, pour que le bruit des mauvaises nouvelles de la journée enterre celui de ma détresse. Au bout d’une demi-heure de sanglots continus, j’ai fini par éteindre le téléviseur. Je me suis déshabillée, en tâchant de ne pas salir mes vêtements avec mon membre blessé, me suis enroulée dans les couvertures du lit et endormie, sans avoir rien mangé.

Devant ce constat effarant que tout mon corps venait de faire, une seule réaction possible: dormir. Dormir pour oublier, dormir pour m’engourdir, dormir pour faire semblant que je n’allais pas mourir. Que contrairement à Pétunia, un jour, je ne mourrai pas.  

À propos de moi

Ma photo
Sophie B.
Montréal, Canada
J'aime les mots et j'aime la bouffe, et comme y paraît que ce n'est pas poli de parler la bouche pleine, j'écris à la place.
Afficher mon profil complet

Membres