jeudi 10 juin 2010


Tout ce que j’ai trouvé à répliquer à Guillaume, ce fut « On dirait que t’es menstrué, t’as du sang sur tes jeans. » Et sur ces beaux mots pleins de vulgarité, j’ai tiré sur la fermeture éclair de son manteau d’hiver-parfait-pour-les-journées-de-canicule, faisant ainsi tomber la pièce de viande qu’il venait d’y camoufler. Ça l’a officiellement mis en beau fusil. J’oserais même dire en beau bazooka.

Il m’a regardée droit dans les yeux, a pris la douzaine d’œufs qui trônait fièrement sur le dessus du monticule de denrées remplissant mon panier et l’a laissée tomber par terre. Sur le prélart beige de l’épicerie, à côté du sang de bœuf, il y avait maintenant du jaune d’œuf. La guerre était déclarée.

Je l’ai fixé à mon tour, sans rien dire, et me suis emparé du sac de farine que j’avais déposé dans l’endroit normalement prévu pour asseoir les enfants dans le chariot. Après l’avoir ouvert, j’en ai déversé le contenu sur la tête de mon adversaire ahuri qui, pour se venger, a cru bon m’écraser une tomate sur le crâne.

J’en étais à plonger ma main dans un pot de confiture aux framboises, ayant pour objectif d’étendre le sucré mélange sur mon ennemi, quand le gérant du magasin s’est avancé vers nous, flanqué d’un gardien de sécurité de 16 ans aussi menaçant qu’une botte d’asperges. Avec sa voix de castra italien en train de s’étouffer avec du prosciutto, le «bunser» nous a «ordonné» de quitter l’endroit «sur-le-champ», en prenant bien soin de spécifier qu’on devait passer par la caisse pour payer les items qu’on venait de gaspiller.

J’ai expliqué à ces gentils messieurs fâchés que j’avais héroïquement tenté de stopper ce voleur carnivore qu’était Guillaume alors qu’il s’apprêtait à commettre un effroyable délit, et qu’ils devraient me remercier pour mon noble geste, plutôt que de me punir, mais ils n’ont rien voulu entendre. C’est quasiment à coup de pieds qu’ils m’ont sortie, m’escortant jusqu’au comptoir de courtoisie pour s’assurer que j’allais payer mes achats-maintenant-écrasés-sur-le-plancher-et-dans-la-face-de-Guillaume. Évidemment, c’est moi qui ai dû assumer la facture, puisqu’un voleur à l’étalage, comme ça n’a jamais vraiment l’intention de payer, ça traîne rarement sa carte débit.

Je fouillais dans mon portemonnaie, grattais mes cennes et faisais exprès pour compter tout croche, recommencer à zéro, me tromper encore, dans le but d’exaspérer la caissière qui mâchait sa gomme balloune en me jugeant hautainement du haut de ses 17 ans et de son DEP en coiffure même pas fini. Pendant ce temps-là, Guillaume se bidonnait comme un gars chaud qui sait même pu pourquoi il rit. Le fou rire lui a pris, solide. J’ai essayé de me retenir, de ne pas me laisser atteindre par ses petits pouffements, mais ils étaient contagieux.

Rendue à l’extérieur, une fois que mon ami le gardien-asperge m’a remis mon bras et ma dignité, j’ai explosé moi aussi. D’un rire tonitruant, d’un rire à gorge déployée, à rate dilatée et à estomac crampé. Guillaume et moi, on se marrait comme deux débiles mentaux qui, pendant la sortie du vendredi au centre commercial organisée par la maison de fous, ont profité du fait que l’accompagnatrice était occupée à essuyer le coulis de crème glacée sur le menton de Tommy, le jeune trisomique, pour s’échapper.

Après s’être bidonnés abondamment, on s’est dit qu’on pourrait peut-être tout reprendre du début et se présenter convenablement. Moi c’est Sophie, moi c’est Guillaume, enchanté, enchantée, t’es vraiment tout crotté, ouais, je sais, mais t’es pas mieux, t’as des grains de tomates dans les cheveux, oups, pis toi t’as du jus de steak juste là, c’est presque sexy, tu trouves, oui, je trouve, mais faudrait peut-être quand même qu’on aille se laver, ça tombe bien, j’habite juste à côté, si tu veux venir prendre une douche, j’voudrais pas déranger, ben non tu déranges pas voyons, c’est un peu de ma faute tout ça après tout, mais non, qu’est-ce que tu dis là, c’est de ma faute, j’aurais pas dû…

Cinq minutes plus tard, on était en train de se déshabiller dans le corridor de mon appartement.



À SUIVRE…

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Sophie B.
Montréal, Canada
J'aime les mots et j'aime la bouffe, et comme y paraît que ce n'est pas poli de parler la bouche pleine, j'écris à la place.
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